Portrait d'un agriculteur à la retraite - Audinghen
Jacques Delattre
Portrait de Jacques Delattre, agriculteur à la retraite - Audinghen, interrogé dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".
Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?
Nous sommes une famille d’agriculteurs depuis 7 générations. La famille est fixée au Cap Gris-Nez depuis au moins 2 siècles. Il y a plusieurs familles paysannes ici, très sédentaire. Comme pour les familles de pêcheurs, c’est une population ancrée.
Nous étions cinq dans la famille, j’étais celui qui n’aimait pas l’école et je n’avais qu’une idée, succéder à mon père sur la ferme. J’ai connu ma femme et nous nous sommes mariés, on a travaillé ensemble pendant cinquante ans.
Nous avons une centaine d’hectares sur la ferme, tout en productions végétales, pas d’élevage. Nous avons monté une activité touristique importante en transformant les anciens bâtiments en gites ruraux et en chambres d’hôtes.
Des 1985, j’exerçais déjà des responsabilités dans la coopération et j’étais membre du bureau de la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais. J’aime bien l’intérêt général à travers la notion de territoire.
A la période où j’ai pris ma retraite s’est élaboré le projet du grand site national des deux caps en plus du Parc Naturel et des emprises du Conservatoire du littoral. Beaucoup d’entre nous étaient méfiants de cette nouvelle strate. Finalement aujourd’hui le grand site est un peu la faîtière, c’est l’endroit où se font et se décident les projets d’aménagement de notre territoire.
Le grand site est géré par le département et non par un collectif de maires. C’est particulier mais c’est très bien comme ça car on n’a qu’un seul interlocuteur.
Pour faire partie du processus de décisions nous avons dû constituer une association appelée l’association des paysans du grand site, c’était il y a 10 ans.
Nous les paysans, on détient aujourd’hui 60% du territoire pour environ 40 fermes à travers une agriculture raisonnée et solidaire. En plus d’être des acteurs économiques importants nous sommes aussi à l’origine des couleurs du fabuleux paysage qui nous entoure par le patchwork de couleurs des assolements et des rotations des cultures.
De plus, avec le grand site et d’autres financeurs l’association a porté un projet paysager de rénovation des cours de fermes qui est toujours opérationnel.
Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?
Depuis le CD 940 entre Boulogne et Calais en passant par les Caps Gris-Nez et Blanc-Nez, on voit constamment que notre pays est un mélange terre mer. Il y a des falaises importantes, certes, mais continuellement il y’a un vallonnement et des vues plongeantes qui font qu’il y a une imbrication surprenante entre mer et campagne.
Vers Escalles et le Blanc-Nez les terres sont crayeuses et donc blanches, c’est un open field avec de grandes parcelles plutôt cultivées en céréales et colza et de grandes ondulations qui plongent vers la mer constituant un paysage fabuleux.
Vers le Griz-Nez le sol est plus argileux, moins ample, plus en productions légumières, donc plus vert. Ici le coté insulaire du site prend toute sa dimension avec le cap qui s’impose à la mer. La proximité des parcelles agricoles avec les falaises est surprenante. Le sentier des douaniers devenu le GR chemine le long des falaises et fait l’objet aujourd’hui de négociations entre le conservatoire du littoral et les différents propriétaires pour sa sanctuarisation.
Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?
Front de mer à Sangatte. Il y a eu des travaux d’enrochements très importants pour le protéger et l’administration procède en ce moment à la destruction des chalets sans permis
Il y a un certain dénivelé entre la terre et la mer mais c’est vrai que c’est presque le niveau zéro.
Le Chatelet. Ici, a la prochaine tempête la mer peut rentrer au niveau de la dune. Derrière on trouve quelques maisons, une ferme d’élevage, tout l’espace du marais et même une partie des maisons de Wissant. Dans le cadre de discussions globales avec l’administration, la mairie de Tardinghen et les agriculteurs du site négocient un projet de déménager une exploitation concernée par le risque plus en retrait et en hauteur par rapport à la cote. S’agissant de jeunes agriculteurs qui évoluent vers un élevage tout herbe, la population et l’association des paysans du grand site soutiennent ce projet expérimental et vertueux.
La photo que je préfère c’est celle du Gris-Nez.
Le cap Gris-Nez est une cote très inhospitalière. Ce cap protège des vents dominants toute la baie de Wissant
J’ai cultivé dans ce pays toute ma carrière avec pour ennemi principal le vent salé et les embruns. Le sel est le plus grand désherbant que j’ai connu notamment lors des tempêtes de janvier 1990
Le gris nez est solide, perché a 35m de haut, issu d’une histoire géologique bien plus ancienne que son voisin le Blanc-Nez.
C’est un pays attirant pour les scientifiques, les promoteurs, les ornithologistes, les prescripteurs, c’est un pays où se superposent un nombre incalculable de règlements territoriaux de protection.
Mais c’est d’abord un pays de paysans (il y en a encore 18 sur la commune) qui l’ont protégé contre les ingérences, contre les excès de l’immobilier, qui l’ont rebâti après la guerre et qui ne veulent pas le voir transformé en sanctuaire alors qu’ils y travaillent tous les jours.
Cette passion, conjuguée à la géographie a sans doute contribué à fabriquer cet esprit un peu insulaire qui nous habite.